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La Neurodiversité 3.0

Un autiste • sept. 15, 2022
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Neuro-quoi ?

La Neuro-"diversité" est la diversité humaine d’après la diversité neurologique qui la compose.


   La Neurodiversité

C'est une notion relevant de la biologie, développée et popularisée entre autres par Hans Asperger, Judy Singer, Harvey BlumeSteve Silberman et Kevin Rebecchi. Mais "la Neurodiversité" est aussi un mouvement social. Ce concept apparu récemment a évolué de plusieurs manières. La notion de neurodiversité s’est vue représentée de différentes façons selon le contexte, et il s’est produit des quiproquos. En fin de compte, l’histoire de la neurodiversité peut se scinder en trois grands moments : la naissance du concept, dans les années 1990 ; puis son développement chaotique dans les années 2010 ; et enfin sa version aboutie d’aujourd’hui.


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   Aux origines de la neurodiversité

En 1938, durant une conférence sur les enfants atypiques, et face à des nazis qui surveillent son service, Hans Asperger ose dire :

« Laissez-moi aborder ce sujet aujourd’hui, non pas du point de vue de la collectivité nationale […], mais du point de vue des enfants anormaux. […] Que pouvons-nous faire pour eux ? Telle doit être la question. Si nous les aidons avec toute notre ferveur, nous rendons aussi le meilleur service à notre peuple […] Tout ce qui sort du rang, tout ce qui est "anormal" n’est pas forcément "inférieur". »

Dans ces mots résonnent les prémisses de la neurodiversité. Car cinquante ans plus tard, en s’inspirant du courage d’Hans Asperger et en voyant le mouvement des homosexuels obtenir la sortie de l’homosexualité du DSM Quand l’homosexualité était une maladie », site Slate.fr), des autistes (Jim Sinclair, Judy Singer et d’autres) répandent la notion de "neurodiversité". Un concept qui permet entre autres de cesser de confondre l’autisme avec des maladies (syndrome de Rett, syndrome d’Angelman, syndrome de l’X fragile, etc.), des troubles (troubles du spectre de l’autisme, trouble de l’anxiété, trouble du langage, etc.), d'autres déshabilités (schizophrénie, dystonie, déshabilité intellectuelle, incapacité à regarder dans les yeux, etc.) ou un aspect négatif (un problème, une souffrance, une incapacité, un malheur, une atteinte, un risque, etc.). Ils offrent aux autistes l’opportunité de se défendre face à la stigmatisation, la pathologisation de l’autisme, et face à l’eugénisme. Et ce concept se fonde sur des notions scientifiques :

« C’est la neuroscience qui nous a légitimés, et c’est le langage de la neuroscience et de l’informatique qui a été la source de métaphores habilitantes pour notre mouvement. » (Singer, 2016)

« Le terme "neurodiversité", dans sa forme politique, s’est imposé parce qu’il fait appel à l’autorité des sciences de l’environnement et des neurosciences pour remplacer la caractérisation purement négative et déséquilibrée du domaine psycho-médical du 20e siècle concernant les minorités neurologiques. » (Blog de Judy Singer)

Mais la Neurodiversité a un but politique :

« La signification clé du "spectre de l’autisme" réside dans son appel et son anticipation d’une politique de la diversité neurologique, ou neurodiversité […] ». (Singer, 1999)

« [...] mon objectif était de faire de #Neurodiversité un synonyme "politique" de #Humanité, en tant que bannière pour le mouvement émergent des droits du 20e siècle des #Neurominorités..» (Judy Singer, Twitter 24 août 2022)

Les neurominorités regroupent les communautés de personnes jugées atypiques, créatives ou différentes par leur structure neurologique et qui sont minoritaires dans la société. Les autistes correspondent à une neurominorité. Et les neurominorités sont souvent infériorisées, victimes de préjugés ou confondues avec des pathologies. Ainsi, la neurodiversité est un concept qui représente toute la diversité humaine au travers de sa diversité neurologique ; mais, la Neurodiversité est aussi un mouvement qui défend les neurominorités. Donc, en 1993, lorsque Jim Sinclair fonde le Mouvement pour les droits des personnes autistes, il y intègre la terminologie de la neurodiversité. Le concept de la neurodiversité se retrouve ainsi dans des actions individuelles et collectives pour défendre les autistes. Certains autistes en profitent pour inventer le "trouble de neurotypisme" en référence aux non-autistes appartenant au groupe surnommé "neurotypiques". Le trouble de neurotypisme est établi par un raisonnement par l’absurde, par de l’humour, qui fait appel à l’empathie des non-autistes. Mais il n’existe pas de trouble de neurotypisme, c’est seulement une exagération à visée apagogique. Les "neurotypiques" font partie de la neurodiversité. Mais la Neurodiversité défend surtout les neurominorités. Par exemple, les personnes avec un trouble de l’apprentissage (dyslexie, dyscalculie, dysorthographie, TDAH, etc.), qui présentent une structure neurologique différente ne constituant pas une "maladie", et qui subissent une stigmatisation (exemple 1, exemple 2, etc.) dans des systèmes d’apprentissage arriéré. Ainsi, durant les années 2000, la Neurodiversité se met à représenter d’autres neurominorités que les autistes. Et en 2004, le Double-Tongued Dictionnary définit le mot "neurodiversité" comme :

« L’ensemble des structures ou des comportements neurologiques, mentaux ou psychologiques de l’être humain, considérées comme non nécessairement problématiques, mais comme des formes alternatives acceptables de la biologie humaine. »

La neurodiversité redéfinit l’humanité en mettant en cause sa présentation binaire entre les gens "normaux" et les "anormaux" qui seraient à rectifier. La perception de la normalité, jugée parfaite, est critiquée.

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   La Neurodiversité, victime du wokisme

D’abord un poncif : la perfection n’existe pas (et cela rend la vie stimulante). La société parfaite n’existe pas. Nos civilisations sont imparfaites, et cela crée des injustices. Mais certaines injustices peuvent être combattues si la société agit en ce sens. Les civilisations modernes possèdent des moyens de se corriger et de s’améliorer. Mais, parfois, cela ne suffit pas. Les citoyens qui ne croient plus dans les institutions judiciaires et politiques pour rendre justice vont alors se regrouper pour créer une justice dite "sociale". Les mouvements de justice sociale existent depuis longtemps, entre autres pour faire cesser la ségrégation raciale aux États-Unis, pour le droit de vote des femmes, pour sortir l’homosexualité du champ médical. Et de nouveaux mouvements de justice sociale voient le jour, comme la lutte pour autoriser les femmes à conduire des voitures en Arabie Saoudite, pour le droit d'éducation des filles en Afghanistan, ou comme celui de la Neurodiversité : 

« […] selon moi, je l’ai inventée [la Neurodiversité] pour nommer un mouvement de justice sociale. » (Judy Singer Twitter le 24 août 2022)

« [Neurodiversité] C’est le nom d'un mouvement de justice sociale, pas un diagnostic ». (Blog de Judy Singer)

Mais tous les mouvements de "justice sociale" n’ont pas les mêmes militants ni les mêmes intérêts. Dans les années 2010, un certain mouvement social apparaît et va perturber tous les autres mouvements. Les militants de ce mouvement troublant se nomment "les combattants de la justice sociale" (Social Justice Warrior, SJW en anglais).

Les SJW s’appellent aujourd’hui "Woke". Les wokes ont pour mouvement : le "Wokisme". Le wokisme vient des États-Unis. Car contrairement à la France — qui pratique l’universalisme républicain, la laïcité qui lui est propre, avec un système judiciaire inquisitoire, qui minimise l’influence des lobbys, et avec une assurance maladie universelle — les États-Unis sont propices à des injustices moins contrôlées. Il est donc normal de voir apparaître de nombreux mouvements sociaux aux États-Unis. Hélas, le wokisme est différent des autres mouvements. Le wokisme est comme une religion. Fondé par des militants de l’antipsychiatrie, des anarchistes et des communistes, le wokisme s’immisce dans tous les mouvements de justice sociale, avec une idéologie toxique : la justice "parfaite" ! Les wokes se présentent partout où ils le peuvent pour renforcer leur influence. Le wokisme va alors instrumentaliser la notion d’intersectionnalité. Quant à l’idéologie (la justice parfaite), elle est toxique, parce que la justice parfaite n’existe pas. Autrement dit, il y aura toujours un "combattant" de la justice parfaite qui ira toujours plus loin… voire trop loin, dans les actions de lutte sociale (créant une "dérive" du progressisme). Les wokes qui s’immiscent dans les autres mouvements sociaux vont alors parfois même faire réaliser l’inverse de ce pour quoi les mouvements existent. Des wokes option "antiracisme" ont réinventé la ségrégation et l’antisémitisme. Des wokes option "Théorie Critique de la Race" ont dévoyé cette théorie. Des wokes option "féminisme" ont défendu la misandrie. Des wokes option "LGBT" ont dévoyé le transactivisme. Des wokes option "écriture inclusive" conduisent à la stigmatisation des dyslexiques/dysorthographiques. Des wokes option "écologie" sont antinucléaires. Des wokes option "sociologie" font croire qu’il s'agit d’une science "exacte" et intensifient la victimisation. Des wokes option "handicap" survendent l’inclusivité. Des wokes option "classe politique de gauche" combattent la laïcité. Des wokes option "autisme" font croire que l’autisme est un trouble. Et enfin, des wokes option "neurodiversité" font croire que les neurodivergents (militants de la Neurodiversité) sont meilleurs que les gens dits "normaux", invitant à la haine des neurotypiques. Dans tout ce désordre woke, la neurodiversité a été détournée vers une idéologie anti-normalité. Mais la Neurodiversité est aussi instrumentalisée par le corps médico-social.

« [...] Je vois toujours mon rôle comme celui de résister à la tentative de réabsorption par le secteur psycho-médical et commercial, qui veut faire de la "neurodiversité" le dernier mot à la mode pour le handicap neurologique. Imaginez si Biodiversité=Handicap. Absurde ! » (Judy Singer Twitter le 3 septembre 2021)

« La diversité est une mesure de l’ampleur de la variation au sein d’une population donnée. Ce n’est pas un diagnostic ! [...] Le Mouvement de la Neurodiversité est le terme générique. » (Judy Singer Twitter le 19 décembre 2020)

« [...] La neurodiversité n’est pas synonyme de #Deshabilité [ou handicap]. » (Judy Singer Twitter le 19 aout 2019)

Finalement, le wokisme a sali la neurodiversité avec une présentation de l’anormalité jugée parfaite ou vengeresse. Et la médecine tente de minimiser le concept de la Neurodiversité. Nombreuses furent les confusions réalisées sur la neurodiversité (suprémacisme anti-normal ; synonyme de handicap ou de diagnostic ; séparation entre les "normaux" et les "neurodivergents"), au point même d’en nier le caractère scientifique. Pourtant, la représentation scientifique de la neurodiversité va se renforcer à partir des années 2020.

Source : Blog de Judy Singer


   La science au secours de la Neurodiversité

Loin de l’idéologie woke anti-science, la neuroscience continue d’évoluer depuis les années 1990. En 2022, le doctorant en sciences de l’éducation et de la formation, Kevin Rebecchi publie un ouvrage scientifique intitulé « La neurodiversité » :

« [Le concept de la neurodiversité] n’a absolument aucun classement possible hiérarchique. Il s’agit simplement d’un ensemble divers où toutes les variations sont prises en compte.

[…] Et la neurodiversité n’est que le corollaire (c’est-à-dire qu’elle est en quelque sorte le résultat) de la diversité génétique en réalité, donc rien d’innovant ni de nouveau ni même de révolutionnaire !

[…] Ainsi, la neurodiversité met simplement en lumière la diversité humaine provenant de l’évolution qu’il conviendrait donc de reconnaître et accepter afin de favoriser le vivre ensemble et envisager un meilleur futur. 

[…]

Les questions de la réécriture de la norme sociale, mais aussi de la norme scientifique se posent. Il apparaît que malgré les langues communes, les politiques communes, les cultures communes… des perceptions, des visions, des consciences, des cognitions différentes existent et il s’agit en quelque sorte d’une révolution symbolique à opérer. Les différentes cognitions et différents fonctionnements biologiques doivent être considérés comme normaux et être intégrés dans le spectre de la normalité de la génétique, de la neurobiologie et de la psychologie cognitive (à l’instar de ce qu’il se passe au niveau des langues, elles font toutes partie de la normalité, il n’y a pas de langage « pathologique » quand bien même le langage forme différentes manières dont nous pensons tous) et non plus à part dans les psychopathologies et la psychiatrie, même si certains plaident pour la création d’une branche à part de la neurobiologie. » (Rebecchi, 2022)

Dans son ouvrage, Kevin Rebecchi développe les différentes recherches scientifiques sur le thème de la neurodiversité, et rejoint la pensée de Judy Singer :

« La neurodiversité désigne simplement un truisme biologique, un fait évident qui n’ajoute rien à ce que nous savons déjà du monde. Il n’est pas nécessaire d’avoir un doctorat pluridisciplinaire en "~ologies" pour comprendre que chaque cerveau humain sur la planète est aussi unique que chaque empreinte digitale. Il s’ensuit qu’il existe une diversité virtuellement infinie d’humains sur la planète, avec des esprits infiniment diversifiés et complexifiés par l’expérience de corps tout aussi diversifiés. » (Blog de Judy Singer)

Au même moment, et pour éviter d’autres confusions, le terme "neurotypique" (non-autistes) a aussi été mis en retrait du vocabulaire militant. Car :

« TOUS les humains sont neurodivers, chacun d’entre nous possède un cerveau unique, composé de notre patrimoine génétique (Nature) et de nos enregistrements culturels et expérientiels (Culture). Ainsi, on peut voir que la neurodiversité n’est qu’un nom accrocheur pour désigner la "nature humaine". Cela nous rappelle qu’il existe une base environnementale pour respecter la variabilité des différences cognitives, qu’il s’agisse de capacités ou de handicaps. » (Blog de Judy Singer)

Autrement dit, pour éviter une séparation absurde entre les neurotypiques et les neurodivergents, on évite l’étiquette "neurotypique". Car le vocabulaire "neurotypique" est propice à une connotation négative ou des quiproquos.

Ainsi, grâce aux efforts de scientifiques, chercheurs et militants de la Neurodiversité, le concept de la neurodiversité a su garder ses fondements, et le mouvement social de la Neurodiversité s’est renforcé face aux préjugés et instrumentalisations.

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   Le vivre ensemble venu des autistes

La neurodiversité comme terminologie et aussi comme mouvement social fut développée par des autistes pour défendre les neurominorités (autisme, trouble de l’apprentissage, psychopathie, hypersensibilité, etc.) qui font face aux préjugés et à des maltraitances. Puis, la Neurodiversité fut défendue par des militants et des chercheurs contre des lobbyings aux intérêts douteux. La neurodiversité est un concept scientifique, mais désigne aussi un mouvement politique. La neurodiversité évoque une diversité des cerveaux ou de la cognition. Le mouvement de la Neurodiversité, quant à lui, défend les neurominorités face au culte de la conformité. La conformité n’est pas un mal, mais le fait de lui attribuer une trop haute estime et de la sacraliser pose un problème. Pour éviter tout quiproquo, il faut souligner aussi que la neurodiversité n’est pas un diagnostic. La neurodiversité n’est pas un synonyme de handicap ou d’absence de handicap. La Neurodiversité ne défend pas des criminels. La Neurodiversité n'attaque pas la conformité. Il n’y a pas d’humain en dehors, à l’extérieur ou exclu de la neurodiversité. Et la neurodiversité n’est pas un principe moral.

L’humanité est composée de variantes, dont celles neurologiques. Mais ces variations n’ont pas vocation à être des facteurs d’opposition. La diversité de l’humanité est l’aboutissement d’une grande histoire de survie. Si ces différences neurologiques ont été conservées à nos jours, ce n’est pas pour se combattre les uns les autres. Apprenons à nous écouter, essayons de nous comprendre. Agissons ensemble, dans notre intérêt commun.

Vive la neurodiversité !

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Commentaires

| Autiste tout simplement :
Excellent article sur la neurodiversité.
Kevin R. a publié de nombreux livres. Pour comprendre l'autisme, il faut connaître son histoire.
Asperger est certainement le 1er à avoir parlé de neurodiversité.

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