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Logo de l’autisme : source AutisticUK ; explication par Beth Wilson (Twitter) ou Gernsbacher & all (2018)
« L’enfer est pavé de bonnes intentions » — Saint Bernard de Clairvaux
N’importe qui peut prétendre aider des autistes. Alors pour comprendre la réelle place des autistes en France, il faut d’abord connaître les faits. On ne peut juger qu’en connaissance de cause. Posons donc le contexte. Qu’est-il dit de l’autisme à l’international et en France ? C’est en comparant ces deux aspects que l’on connaîtra la position exacte de la France au regard des autistes. Dans la liste des gens à écouter au sujet de l’autisme, la recherche scientifique et les mouvements d’autistes arrivent en tête. Ce n’est pas un gage d’irréfutabilité, mais c’est du bon sens. Ainsi, écoutons les concernés et les scientifiques.
Schéma sur la diversité des autistes
Que nous disent les autistes et les scientifiques sur l’autisme ?
Dans les années 1990, aux États-Unis, des autistes ont pensé pouvoir faire un parallèle avec le mouvement des homosexuels qui ont réussi à faire sortir l’homosexualité du Manuels diagnostique et statistique des troubles mentaux (l’article « Quand l’homosexualité était une maladie » de Salte.fr a bien décrit cette situation). Ces autistes ont créé le mouvement de la Neurodiversité, afin de sortir l’autisme du lexique pathologique de la médecine. Au Québec, des autistes ont fondé le mouvement Aut'Créatifs pour défendre l’autisme et dénoncer, entre autres, les acharnements thérapeutiques jugeant le comportement des autistes comme défectueux. De nos jours, en Angleterre, l’autiste Chris Bonnello (enseignant, auteur et militant) a réalisé un sondage d’opinion sur l’autisme, avec plus de 11 200 participants. Les enquêtes d’opinion sont critiquables sur certains points (explication Wikipédia), mais on a pu y apprendre par exemple qu’une majorité d’autistes ont préféré être nommées "autiste" au lieu de "avec autisme". Il y a aussi Michelle Dawson, une autiste chercheuse scientifique qui en 2013 a reçu un doctorat honoris causa de l’Université de Montréal en reconnaissance de ses travaux sur l’autisme. Elle a défendu l’autisme, en démontrant que l’autisme n’était pas une maladie, mais une diversité humaine.
En parlant de scientifiques à Montréal, on retrouve également Laurent Mottron (professeur titulaire de psychiatrie de l’Université de Montréal, chercheur sur l’autisme) qui a créé un groupe de recherche qui explore la manière dont les autistes traitent l’information. En 2021, le Dr Laurent Mottron a expliqué, lors d’un webinaire Spectrum, la nécessité d’un changement radical dans la stratégie de recherche sur l’autisme (pour mieux comprendre l’autisme). En 2017, les Drs Jiani Yin et Christian Schaaf ont évoqué plus de 800 gènes liés à l’autisme (sur les 21 000 gènes qui constituent le génome humain). De 2014 à 2016 plusieurs études (de Eapen et Clarke ; Focquaert et Vanneste ; Constantino et Charman) ont conclu à une très grande diversité d’autistes. Autrement dit, l’autisme s’exprime différemment d’après les autistes et leur environnement. En 2014, à la suite de ses travaux, le Dr Ilan Dinstein a allégué durant un entretien « Les secrets de l’autisme résident évidemment ailleurs que dans les différences morphologiques du cerveau ». Dans la même année, une étude a évoqué un élagage synaptique moins présent chez des autistes. En 2016, les chercheurs Penny Spikins et Barry Wright ont démontré l’existence d’autistes durant la préhistoire. En 2014, deux équipes de chercheurs menés par Michael Ronemus et Ivan Iossifov ont vu grâce à la génétique que l’expression la plus commune de l’autisme n’était pas associée à un handicap mental. En 2006, le psychiatre irlandais Michael Fitzgerald a affirmé dans un interview que « Toute l’évolution de l’humanité a été conduite par des [autistes]. Sans eux, l’espèce humaine serait encore assise dans des grottes ». Récemment, un article a montré que les organoïdes cérébraux d’autistes étaient plus développés que ceux de non-autistes. Et une autre étude a mentionné que les autistes avaient une région associée au langage qui était plus grande et que le développement du cerveau semblait différent chez les enfants autistes. Plusieurs hypothèses ont essayé (plus ou moins bien) d’expliquer l’autisme, l’hypothèse de la double empathie, l’hypothèse du monde intense, le monotropisme, etc. Enfin, en février 2022 l’OMS a rendu publique la traduction française de la CIM-11, permettant aux Français de dissocier officiellement l’autisme (qui est une diversité humaine) et les troubles du spectre de l’autisme (qui correspondent à des perturbations cliniquement significatives dans le contexte de l’autisme, chez certains autistes). La CIM-11 ne s’occupant pas de l’autisme (question scientifique), mais uniquement des troubles du spectre de l’autisme (question médicale).
Toutes ces informations laissent à penser qu’il y a des autistes épanouis dans la société et d’autres moins ; qu’il y a des autistes qui présentent des troubles et d’autres qui n’en manifestent pas ; que l’autisme n’est pas aussi rare et moderne qu’on le croyait auparavant ; et que les autistes ont raison de militer contre les préjugés pathologiques qui empêchent tous les autistes d’être épanouis dans leur vie. Donc, si la France est réellement l’alliée des autistes, on s’imagine qu’elle ne dira pas autre chose.
Tableau sur certaines des conséquences causées par les préjugés pathologiques sur l'autisme
Que nous dit la société française sur l’autisme ?
Dans les médias français, sur TF1 on trouve la série Good Doctor qui présente un autiste surdoué et asocial (mais TF1 a ensuite changé la promotion de la série pour le présenter avec un "syndrome du savant"...). Sur France Télévisions, il y a les séries On the spectrum et Astrid et Raphaëlle avec les mêmes caricatures d’autistes, c’est-à-dire "asociaux, soit surdoués, soit avec un handicap mental". Ainsi, pendant que des autistes comme Hugo Horiot, Wentworth Miller et Anthony Hopkins jouent des non-autistes, il y a des non-autistes qui jouent des caricatures d’autistes. Malheureusement, on voit aussi des autistes comme Aurélien Deschamps qui interprètent des caricatures d’autistes. L’art cinématographique instrumentalise également l’autisme. "Les chaussures de Louis" est un court-métrage avec des préjugés sur l’autisme, développé par 4 étudiants non-autistes. Ces étudiants ont gagné une cinquantaine de distinctions, mais ça n’a absolument rien changé pour les autistes. Enfin, il y a le film Hors Normes qui prétend porter sur l’autisme, alors qu’il n’en est rien. Le film se focalise sur les très rares autistes et non-autistes qui ont un handicap mental et qui manquent de soutien en France.
Que trouve-t-on dans la culture française où la croyance psychanalytique est si influente qu’à partir de 1987 la France s’oppose à l’Organisation mondiale de la Santé pour créer sa propre classification des troubles mentaux (CFTMA et CFTMEA) en adéquation avec la psychanalyse ? Certains professionnels d’obédience psychanalytique pratiquent encore le packing. Une technique pourtant condamnée par l’ensemble des autistes, par un consensus scientifique, par l’ONU et démontré inefficace. En 2021, le gouvernement s’est senti obligé de rappeler, par un communiqué interministériel, que des résultats de maltraitance ne doivent pas être pris pour de l’autisme. La France entretient un vocabulaire arriéré et pathologique comme « autisme léger/lourd », « autisme de haut/bas niveau » ou « autisme profond/superficiel ». Les Français ont pris l’habitude de parler de « plusieurs formes d’autismes », plutôt que de « plusieurs expressions de l’autisme ». Le site autisme.fr amalgame l’autisme avec les troubles envahissants du développement, une nomenclature scientifique qui n’est plus utilisée depuis la fin des années 2000. L’INSERM fait croire que l’autisme est rare, en ne concernant qu’une naissance sur 100, et prétend que le syndrome de l’X fragile ou le syndrome de Rett sont liés à l’autisme. A croire que la France n’a pas évolué depuis 1980. En profitant de ces confusions, le neurobiologiste Yehezkel Ben-Ari et le pédopsychiatre Éric Lemonnier créent l’entreprise Neurochlore en 2011. Ils veulent traiter l’autisme, alors confondu avec le syndrome d’Angelman, avec un médicament à base de bumétanide. Mais confirmant l’avis du Dr Laurent Mottron, une étude récente a démontré l’inefficacité du bumétanide sur les autistes. Les recherches sur l’autisme du Dr Hans Asperger sont encore diabolisées, à travers les procès d’intention d’Édith Sheffer qui a un énorme conflit d’intérêts. Tandis que les recherches sur l’autisme du Dr Léo Kanner sont encore glorifiées, alors que Steve Silberman a depuis longtemps démontré l’incompétence et la malhonnêteté de Léo Kanner. En France, l’autisme reste confondu avec les troubles du spectre de l’autisme (exemples avec passeportsante.net ; Autisme France ; Autisme Info Service ; et même le Groupement national des centres ressources autisme). Médiatiquement et culturellement, rien ne va. Et qu’en est-il du milieu associatif ?
Connaissez-vous l’association Vaincre l’autisme qui mène des actions contre l’autisme ? Cette association de non-autistes décrit l’autisme comme une « maladie neurologique qui détruit la vie ». Imaginez donc si on remplaçait le mot "autisme" par une autre diversité de l’humanité (comme "noir", "homosexuel", "femme", "roux", etc.). Que fait l’état français contre cela ? Rien. ... Il existe aussi des associations comportant des autistes, mais aucune d’entre elles ne respecte le critère principal du militantisme, à savoir : éviter les conflits d’intérêts (le site Axens.fr explique "Les conflits d’intérêts dans les associations"). Par exemple, l’association CLE Autistes a instrumentalisé l’autisme en 2021, en confondant l’autisme avec un trouble psychiatrique afin de faire vacciner ses membres autistes plus rapidement. Il y a aussi un problème avec l’association PAARI (Personnes Autistes pour une Autodétermination Responsable et Innovantes), qui en plus d’amalgamer l’autisme avec les troubles du spectre de l’autisme, ne souhaite pas « prendre la parole au nom de tous [les autistes] ». Ils font donc le choix de laisser de côté certains autistes seuls face aux préjugés pathologiques qui gâchent leur vie.
Médias, culture, association, chercheurs... À quoi vous font penser toutes ces informations "françaises" sur l’autisme.? Pensez-vous que la France est en avance sur son temps ? Ou que la France entretient un retard de plus 40 ans sur l’autisme ? Un retard qui pourrait par exemple légitimer un rapport de l’ONU critiquant la position de la France sur l’autisme. Finalement, au vu de tous ces faits, on peut penser que la France est vraiment restée bloquée en 1980.
Que faut-il conclure ?
La France est l’ennemi des autistes ? Non. Car comme nous l’indique le rasoir de Hanlon : « Il ne faut pas attribuer à la malveillance ce que la bêtise suffit à expliquer ». La France est seulement incompétente et remplie de conflit d’intérêts (Interview de Josef Schovanec « Être Malheureux comme un autiste en France »). La bonne question semble donc être : « Comment agir en France, quand on est un autiste ? » Car, avec ou sans conflit d’intérêts ; avec ou sans hypocrisie ; avec ou sans incompétence ; avec ou sans malhonnêteté, avec ou sans bonnes intentions, la France ne permet pas aux autistes de s’épanouir. Il nous faut donc agir. Les autistes doivent intervenir pour changer cela. Contre « l’obscurantisme forcené arriéré dégénéré » sur l’autisme en France (expliqué par l’excellent site Autistes-France.fr), il ne nous reste qu’une chose à faire : rejoindre une association pratiquant la représentativité pour les autistes. Car il n’y a qu’avec ça que nous ferons VRAIMENT évoluer la France sur l’autisme.
NB : À l’international comme en France, il se dit beaucoup d’autres choses sur l’autisme (en bien comme en mal). Le sujet de cet article ne vise pas à résumer toutes les connaissances, bonnes et mauvaises, sur l’autisme ; mais à faire un portrait, accessible à tous, du problème des autistes français.
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